14 mai 2010

Rencontre avec Jean Charles de Castelbajac, suite et fin

Quelle différence faîtes-vous entre votre activité de créateur de mode, d’artiste contemporain, de cinéaste, d’auteur de chanson ?

Je n'en fais aucune. J'ai des journées très particulières, d'ailleurs, Simon, mon bras droit, peut le certifier !
Simon : "on ne fait pas de différence, c'est peut être le problème mais d'un autre côté, vous êtes autant investis dans chacun des domaines"
Cela dit, la mode est une intuition qui a été insérée dans un concept très précis et j'en suis très fier : d'un côté, il y a Jean Charles de Castelbajac, de l'autre il y a JCDC, qui est un projet qui va se finaliser par un concept store au 10 rue Vauvilliers, mon futur endroit d'exposition, où je vais exposer des jeunes artistes, faire des concerts unplugged de jeunes gens... Ce sera une sorte de lieu post CBGB, palais de Tokyo !
Et puis il y aura toujours Castelbajac Paris, rive gauche, rue des St Pères à côté de Sonia Rykiel, Ralph Lauren.
C'est ma grande fierté, il n'y a plus d'amalgame mais bien deux univers dans ma mode.

Et qu’est-ce qui vous plaît tant dans ces dessins à la craie que vous faîtes partout dans Paris ? L’acte gratuit, le côté temporaire ?

Ce qui me plaît tant, c'est que je les fait pour moi, ça me fait du bien, c'est presque curatif. Il y a des murs qui m'appellent, c'est aussi une manière de rendre hommage à des gens vivants, vivants dans mon cœur. C'est assez troublant. J'en ai retrouvé un à Gare du Nord au départ de Londres et il est quand même de 1996 ! Donc je suis revenu à la craie dessus pour le renforcer un petit peu, et je vois la fille du bureau de change qui toque à la vitre "ça fait 6 ans qu'on se demande qui a fait ça, c'est notre ange gardien !" Chacun l'appréhende comme il veut.
On m'a offert un petit kit de craie, fait par Hermès pour pas que je ne salisse mes poches. Et là par exemple, ça fait 12 ans que je n'ai pas peint, et là j'ai envie de repeindre, encore une autre activité !

Nous avons remarqué que vous étiez très connecté sur Facebook, Twitter... Quel rapport entretenez-vous avec Internet ?

C’est un peu comme mon blog, en fait. D’ailleurs je pense bientôt arrêter mon Facebook pour lancer mon blog, même si je ne sais pas vraiment comment faire. Ce que j’aime dans Internet, et Facebook, c’est la réactivité et la proximité. En général, lorsqu’on fait un métier comme le mien, on est très loin. Moi-même, j’ai été très loin, dans ma vie antérieure. J’étais dans une sorte de Tour d’Ivoire, dans des sublimes bureaux. C’était les années 90, je ne comprenais pas vraiment l’époque et elle ne me comprenait pas du tout : c’était une époque sur-vitaminée par l’argent qui arrivait des financiers sur le monde de la mode, moi je voulais rester dans mon univers onirique… Et puis un jour, Internet est arrivé dans ma vie, il y a à peu près 10 ans, et j’ai compris. Moi par exemple, qui n’avais jamais eu de budget de publicité (car je n’étais pas une entreprise qui avait fait trop de concessions), j’ai compris qu’Internet était une autre façon de communiquer, de créer. Comme quand j’ai fait Hotel Kittyfornia. Si j’avais le temps, je ferais plus de courts métrages pour Internet. Mais vous savez, je ne reçois pas que des compliments sur Internet.

D’ailleurs, est-ce important pour vous d’avoir un retour direct sur vos créations ?

Bien sûr. Internet n’est pas du tout quelque chose de consensuel. Peu de gens de ma génération ont compris ça : cette proximité est essentielle, comme le fait d’être juste au dessus de ma boutique, dans cette rue, d’être impliqué dans la vie. Sinon, pour moi, ça n’a pas de sens. Je crois que mon rôle, si je peux en avoir un, c’est, et j’espère que ça sert à votre génération, de montrer un chemin : montrer qu’on peut être différent et y arriver quand même.

Ma grande qualité, je pense, est d’être totalement obstiné et têtu.

Comment voyez-vous l’évolution de la culture populaire ? Elle tend parfois plus vers le Porno Chic Soft que vers le Pop Art. Qu’est-ce que vous pensez, par exemple, lorsque vous tombez sur le clip d’un mauvais groupe de R’N’B ?

Et bien en fait, je zappe tout de suite. Déjà, j’ai du mal avec le R’n’B. J’ai eu du mal à comprendre le Hip-Hop, et même le Grime, car ce n’était pas une musique que j’aimais. C’était une musique qu’aimaient mes fils (Eminem, Snoop Dogg…), même si étrangement ce sont les rappeurs qui aimaient le plus mon travail. Alors certains comme Dizzee Rascal sont venus vers moi et m’ont appelé JCDC. Mais, finalement, j’ai compris qu’au travers de leur musique, il y avait cette colère qu’avaient les Sex Pistols, par exemple, et que c’était une sorte de musique tribale, de guerre… Mais le R’n’B, j’ai vraiment du mal, même si j’habille parfois Beyoncé ou Rihanna. De toute façon, il y a tellement de sous-catégories dans la musique ! Même dans l’electro, si on écoute Crystal Castles ou Justice, c’est différent, même si ce n’est pas très éloigné.

Est-ce que vous relookeriez Nicolas Sarkozy s’il vous le demandait ?

Pour lui donner des conseils, pourquoi pas. Par exemple, ses vestes sont trop longues, sa cravate est trop large, il devrait avoir des souliers plus pointus. Ce sont des détails, mais je le ferais pour tout homme : je pourrais dire par exemple à François Hollande qu’il a besoin d’une paire de lunettes noires pour dessiner son visage, alors qu’il a des montures transparentes. Mais ça, c’est de l’ordre de l’humain… C’est tellement mis au 2ème plan, en France, cette histoire d’être en phase avec soi-même chez les politiques… Quand je vois De Villepin qui flotte dans ses costumes alors que c’est un athlète, je me dis qu'il vaudrait mieux qu'il s'habille en Lanvin. Mais je ne serais pas sollicité, je pense, même si dans la vie j’ai été sollicité par des gens qui me surprenaient comme un prêtre des prisons à Poissy… Mais c’est amusant, j’aime bien par exemple les émissions du type « Relooking Express » : c’est vraiment participer à révéler les autres.

Si vous aviez dû choisir une autre voie, laquelle auriez vous emprunté ?

Je ne saurais pas trop quoi dire, car j’arrive aujourd’hui à vraiment rejoindre la voie que je voulais rejoindre. J’ai fait l’arbre de néons pour Gaz De France, là je vais faire Henri IV en Jedi… Mon idée c’est vraiment de chromatiser les villes : j’espère que je vais pouvoir faire Paris en multicolore pour Noël prochain. Là j’ai été sollicité par Lyon pour transformer la Rue de La République en voie spatiale : j’aime bien cette idée d’investir les villes. Parce que quand je vais à Berlin, lorsque je lève les yeux la nuit, c’est vraiment Luna Park, David Lynch, il y a quelque chose d’émouvant. Mais la beauté des villes ne suffit pas, la nuit doit transformer, comme elle nous transforme tous. La nuit est un univers que j’adore.

Quel est votre livre préféré ?

Comme petit guide spirituel, j’ai un livre qui s’appelle Gorin No Sho, écrit par un Samouraï qui s’appelait Miyamoto Musashi autour de 1620, et dans lequel il y a les 5 éléments : la Terre, le Feu, l’Eau, l’Air, et pour le dernier chapitre, qui est bouleversant, le Vide. Le Vide, c’est à dire cette dimension abyssale de la connaissance : Miyamoto Musashi était le premier Samouraï Punk. Il a été invaincu durant sa vie alors qu’il était autodidacte, qu’il se battait avec un sabre de bois. Mon autre livre, c’est Les Diaboliques, de Jules Barbey d’Aurevilly, dans lequel il y a une nouvelle extrêmement troublante qui s’appelle « Le bonheur dans le crime ». Je trouve qu’il y a une élégance visionnaire dans la manière d’écriture de Barbey d’Aurevilly. Enfin, dans les « 3 Contes » de Flaubert, il y a pour moi le texte le mieux écrit de la littérature française, « Saint Julien L’Hospitalier ».

Et votre auteur favori ?

Mon premier coup de foudre a été Maupassant, notamment car, chez les prêtres, on interdisait de le lire. La première chose de Maupassant sur laquelle je suis tombé, c’était « Le Horla », le moment où il devient fou, et je me suis vraiment retrouvé dans l’écriture de cet homme, il y avait quelque chose de très concis… Ensuite j’ai compris, grâce à mon parrain, que Maupassant était le père spirituel de tous les journalistes car il pouvait y avoir dans son écriture l’émotion et l’efficacité. J’y pense parfois en réalisant des projets, j’essaye de faire passer l’émotion dans un cadre très court, comme dans une nouvelle.

Qu’est-ce que vous lisez actuellement ?

Je viens de finir une biographie d’Edgar Allan Poe. J’avais un ami à Baltimore. Alors que j’ai passé 10 jours là-bas, à attendre cet ami qui était hospitalisé, j’ai passé mon temps à marcher sur les traces d’Edgar Poe. En fait, à Baltimore, il a 3 tombes, sur lesquelles il y a un point commun : on y trouve toujours des bouteilles de Jack Daniels. J’ai aussi lu un livre qui s’appelle « Les Disparues de Vancouver », et qui raconte l’histoire de ces 66 jeunes filles qui ont été kidnappées par un Serial Killer sans que l’état ne dise rien en raison des Jeux Olympiques en préparation. Un vrai cauchemar.

Y a-t-il un tableau qui vous émeut particulièrement ?

C’est dur de choisir une image quand on est tant amoureux d’elles. Mais il y a un tableau, un diptyque de Claudio Parmiggiani qui s’appelle Physionomie Céleste, et qui représente le dos d’une femme avec, d’un côté une constellation de grains de beauté dans son dos, et de l’autre des étoiles. Il y a aussi un autre tableau, de Bernhard Prinz, qui représente six oreillers et qui raconte tous les états de la vie à travers ces oreilles : l’oreiller où l’on naît, l’oreiller où l’on dort, l’oreiller où l’on fait l’amour… Jusqu’à l’oreiller où l’on meurt.

À propos du court-métrage que vous avez réalisé avec Mareva, est-ce que vous aimeriez en faire plus ?

J’adorerais faire un long-métrage. Mais j’aimerais faire aussi un opéra rock… Après, il y a un problème de timing. Il faudrait prendre une option sur une autre vie. Je suis entouré de pleins de gens qui sont très talentueux, et comme j’aime bien l’idée de groupe, je préfère participer. Là par exemple, on est en train de faire notre plateforme de vente en ligne, suivi d’un blog, pour JCDC, nous cherchons un opérateur. Quelqu’un qui soit là, qui s’occupe de le nourrir… J’adore cet endroit, c’est un peu comme une Factory, un atelier : en bas nous faisons nos shootings, en dessous il y a les archives, un jour peut-être il y aura un réalisateur. Vous savez, si j’avais les moyens financiers aujourd’hui, je pourrais aller plus loin dans ma révolution. Je n’envisagerais pas la communication comme le font mes collègues.

Justement, est-ce que vous aimeriez qu’on fasse un film sur vous ?

Là, je suis en train de préparer pour Lechêne un livre énorme de 600 pages sur mon histoire de touche à tout, où il y aura justement... tout ! Ce sera une sorte de foisonnement. Vous savez, il y a ce programme "Empreintes", sur la 5, où on raconte de manière très solennelle des histoires de gens qui font partie d’une « légende »… J’aimerais y figurer. Mais pour un biopic, j’aimerais aussi que ce soit quelqu’un comme Michel Gondry, ou Spike Jonze qui le réalise. Je me sens proche de Spike Jonze. Pour moi, le nouveau pop c’est vraiment ça : il y a quelque chose d’un peu sombre, comme dans ce clip de Kanye West où il joue comme s’il était ivre dans une fête… quelque chose de très étrange. Cette dimension m’interpelle.

Est-ce que vous avez le sentiment d’appartenir à un courant artistique, de dépasser le cadre de la mode ?

Sincèrement, je ne sais pas répondre à ça. C’est à vous de le dire. Je n’ai jamais vraiment appartenu à la mode, et la mode ne m’a jamais vraiment appartenu. Mes premières passions, ça a été le cinéma d’Antonioni, le bruit des Yardbirds, les images que créait Basquiat… Donc inévitablement, j’ai trouvé plus d’écho dans ces visionnaires que dans la mode. Même s’il y a des gens dans la mode, comme Karl Lagerfeld, qui m’intéressent. Karl ne m’intéresse pas pour la mode, il m’intéresse en tant que communiquant. C’est là qu’il m’interpelle. Après, la mode, c’est beau, mais ce qui m’intéresse c’est ce qu’on trouve autour.

Est-ce que vous trouveriez flatteur d’être classé comme un membre du mouvement Pop Art ou serait-ce pour vous trop réducteur ?

J’y suis. Mais c’est un peu simple. Pour moi, le Pop Art a toujours été un bel effet de mimétisme, qui a aussi caché des années de ma vie où j’ai été habité par l’idée qu’il fallait souffrir pour créer alors que je produisais des images très joyeuses même si j’étais derrière dans le tourment. Quand vous dites Pop aux gens, ils vont vous dire Mickey… Mais pour moi, il y a derrière Pop une partie de ma vie. Mais oui, je suis définitivement plus pop que gothique !

En ce qui concerne Mareva, quel est son rôle ?

Elle n’est pas très intéressée par la mode. Elle porte des jugements, mais elle est vraiment habitée par ses projets. C’est là notre point commun. Elle n’a pas fait des choix faciles, car après son destin de Miss elle aurait pu prendre un chemin différent, mais c’est là qu’on se retrouve : on est assez exigeants l’un pour l’autre. Il y a cette dimension, qui je pense, est une sorte de spectre ou de miroir. Elle m’a appris que le bonheur, la sérénité, pouvait être un vecteur de création. Elle m’a appris à sourire.

Est-ce que vous vous rappelez de la première chose que vous lui avez dite ?

Je ne crois pas me souvenir de la première chose que je lui ai dite, mais je me souviens (et c’est la première et dernière fois que j’ai fait ça dans ma vie) lui avoir fait du genou !

Pour finir, est-ce que c’est difficile de travailler ensemble ?

On ne travaille pas ensemble. Elle travaille sur son nouvel album, va sûrement partir l’enregistrer aux Etats-Unis, partir en tournée avec Nouvelle Vague, travaille sur son émission Do You Scopitone ? (Paris Première). On ne travaille pas ensemble : elle n’est pas mon mannequin, mais elle m’inspire. Mais ce n’est pas vraiment une muse. Dans « muse », il y a quelque chose d’assez figé, alors que je ne suis pas vraiment inspiré par une personne, mais plutôt par votre génération. Je suis un fan, un top fan. Quand je suis avec Alice de Crystal Castles, avec mes potes des New York Dolls, que je retrouvais récemment comme une famille, je suis fan. Et quand j’ai dit adieu à Malcolm Mc Laren, j’ai dit adieu à une icône, même si on était amis depuis 35 ans.
Je suis fan du talent des autres, et je pense que c’est mon élixir de jeunesse.

2 commentaires:

pierre a dit…

hahaha, gros big up au mec qui cite musashi comme livre de chevet.

de là à dire qu'il était punk...

automaticd a dit…

gros like bis. Maupassant, Le Horla, le livre des disparues de Vancouver et Spike Jonze. J'aime drôlement ce type quand même.