14 novembre 2010

Le bénéfice du doute


J’étais chez Marine, ou plutôt dans l’appart de quelqu’un de sa famille, je sais pas trop qui ; une tante ou un oncle ou une grand-mère, ça a pas vraiment d’importance, mais toujours qu’il était vide, enfin, qu’elle y vivait seule. C’était un peu tendu chez elle, donc elle s’était barrée. Je pouvais pas lui reprocher parce qu’en ce qui me concerne je m’étais tiré à Lille et puis à Montréal, et c’est pas vraiment l’attitude d’un mec qui a envie de faire exploser les soupapes.
Je buvais un coca et je fumais comme une cheminée, à la fenêtre en regardant la rive opposée du fleuve dans le soleil avec les façades lumineuses dans les teintes saumons et les gens sur les quais, et je me disais que j’aimais quand même cette ville, malgré tout ses défauts, qu'elle était belle et tout, et puis je fumais assis dans un fauteuil, genre Louis XVI, inconfortable, trop rigide, trop droit, et allongé sur une banquette du même style, et puis je fumais debout, et je regardais la pièce dans laquelle j’étais, super tradi, super impressionnante, pleine de bibelots, de tous les souvenirs de chez qui on était, que ce soit des petites boîtes à j’sais pas quoi ou une horloge surchargée ou des boîtes à cigarettes, enfin, toutes les merdes que quelqu’un qui a du biff peut accumuler pendant ses voyages, et puis des murs et un plafond à moulures et des tableaux et de gros rideaux bien lourds, un ensemble d’époque mais pas de la mienne quoi. L’équivalent en salon d’une vieille bibliothèque avec plein de bouquins bien reliés du sol ou plafond ou presque, le genre qui en impose.
Je fumais et je me disais que peut-être que Marine était partie dans le décor avec ses vieux parce que, bon ok, elle vivait encore avec eux à 20 piges et que c’était pas gérable, mais surtout parce que finalement c’était son premier acte de désobéissance. J’avais jamais vu cette fille faire un truc « pas bien ». J’l’avais jamais vue saoule, jamais vue fumer, une clope ou un joint, alors je te parle pas de mettre le nez dans la poudre, ni même choper un mec random en soirée. Et c’est pas tant le fait que je l’avais jamais vue le faire que le fait que je savais qu’elle l’avait jamais fait et avait pas envie de le faire qui alimentait ma psychologie de comptoir.
Bref là j’étais allongé sur le tapis, style persan, mille huit cent fils et moelleux et épais, et le soleil me tombait sur la gueule, et j’avais gardé mes lunettes, à cause de la lumière et parce que Marine voulait absolument les essayer et que ça m’emmerdait, alors que je le fais tout le temps avec les affaires des autres. J’étais un peu saoul parce que j’avais enquillé des bières en plein soleil avec Dorian et Malcolm avant de dire à Marine que je passerai – je tournais à la bière depuis qu’ils m’avaient regardé comme si j’étais fou quand j’avais commandé un dry martini à quatre heures, ou cinq peut-être, je sais plus, mais pour l’apéro quoi -, et j’étais sapé comme un connard des jeunes pop, avec une chemise Oxford bleu ciel aux manches retroussées et un genre de richelieus dans lequel j’étais pieds nus et un vieux 511 et elle pareil, excepté que les coupes étaient différentes et que sa chemise était déboutonnée comme si alors que c’était fait exprès et très efficace, et c’était marrant, et je jetais mes cendres dans un petit bol en porcelaine de chine avec les dessins bleus dedans et dehors, enfin c’est ce à quoi je me suis dit que ça ressemblait, mais je l’ai pas beaucoup étudié parce que c’était qu'un cendrier.
Elle voulait pas que je choisisse la musique sur son mac book, enfin sur deezer, parce qu’elle avait rien sur son disque dur, et j’ai commencé à lui expliquer le direct download à défaut de pouvoir écouter the National, et je clopais toujours et elle me l’a reproché, elle disait « tu fumes encore ? », ce genre de réflexion de non fumeur, et je voyais bien qu’elle captait rien à ce que je lui racontais. Je lui ai dit que j’aimais ça, cloper, et que puis de toute façon ça la concernait pas, c’était bien mon problème, tant que je mettais pas des cendres partout. Qu’est que ça te peut foutre, si je me nique la santé?, j’ai dit en riant.
Un pote a balancé une fois que je la voyais juste parce qu’elle était bonne. Il a pas tort, elle est bonne, effectivement.
Enfin toujours est-il que je l’aime bien. On s’entend pas mal. Je dois représenter un monde que son mec doit pas trop fréquenter (c’est le genre rassurant disons, le type pas vraiment hors des clous), et je suppose que ça doit aussi la fasciner un peu parce qu’elle a pas les couilles ou qu’au contraire elle a trop de courage pour s’y abandonner.
Là on parlait d’un peu n’importe quoi. Ce que je faisais à Lille (pas grand-chose qu’elle aime) et de ce qu’elle faisait à Lyon (bosser ses exams qu’elle a toujours du mal à valider, voir son mec et des copines), ses embrouilles avec les gens du lycée dont je faisais comme si j’avais quelque chose à foutre, qui j’avais vu où quand pourquoi comment depuis que j'étais rentré, et je parlais un peu des films que j’avais vus et des livres que j'avais lus et elle a dit qu’elle aimait pas les vieux livres en regardant mon exemplaire jauni de L’Amour Fou, et j'ai dit tant pis pour toi, et elle me regardait, toujours allongé par terre et je regardais au plafond, et j'étais bien et je bouffais des fraises tagada. C’est limite si sans la voir je l’entendais pas sourire, dans ses intonations et tout, et puis je voyais ses mimiques, je sentais tout ça, comment elle avait replié ses jambes sous elle, et ça me semblait trop simple, trop prévisible, alors que j'aurais sûrement dû trouver ça agréable et bien et le signe de je ne sais quelle osmose littéraire, et ouais il s'est passé un long moment où elle a rien dit sur lequel j’aie à fermer les yeux et je lâchais des vannes racistes ou sexuelles pour la mettre mal à l’aise et ça marchait et elle me reprochait d’être trop ci ou ça, sans qu’il y ait de grande différence entre les deux.
Je me suis rappelé que quand elle avait largué le mec avec qui elle était avant le mec avec qui elle était avant qu’elle le largue pour se mettre avec le tocard avéré qui lui sert actuellement de mec, on avait failli se choper et que c’est moi qui avait été le bon tocard de l’histoire.
J’étais chez elle, chez ses parents pour x ou y raison, et ouais on avait dû bouffer des crêpes ou un truc comme ça, et j’avais pas fumé, je m’en rappelle très bien, parce que y’avait pas de balcon et qu’il faisait froid dehors et que ses parents ne fumaient pas, et au moment de partir pour une raison x ou y on s’était retrouvé en train de se chatouiller sur le canapé de la chambre d’amis à côté de la porte d’entrée. Me demande pas comment on en était arrivés à se chatouiller et si même on savait que c’était vraiment un truc de tocard ou pas, parce que je saurais pas te le dire, toujours est il que je me suis retrouvé à califourchon sur elle et plus ou moins à deux doigts, deux centimètres ou je sais pas quelle est ton unité de mesure fétiche, de l’embrasser une fois qu’on était à peu près calmés.
J’ai vu que si jamais je le faisais, et c’était plus qu’une idée, c’était vraiment le truc qui semblait s’imposer, je serais complètement lié, que ça pouvait pas être un truc en l’air, que ça scellerait un truc non défini qu’on allait devoir définir après avec une sorte d’obligation d’alliance ou je sais pas quoi qui m’emmerdait d’avance dans la procédure comme le résultat, je l’avais vue avec ses ex et je savais que ça pouvait être une plaie et je savais que j’avais pas autant envie de ça que de me maquer, que même pour son adorable cul et son joli sourire et tout le reste, c’aurait pas été gérable. Le problème de Marine c’est qu’elle est convaincue que l’acte gratuit n’existe pas. Marine est le genre de fille que t’embrasses pas, et donc tu couches encore moins avec, juste parce que t’as envie. Nan t’as intérêt à avoir de bonnes raisons et un bon argumentaire.
Et là, j’avais rien. Donc, s’en est suivi une discussion interminable qui n’a sûrement pas duré plus de dix minutes où je lui ai expliqué que tout ça était du vent, que je m’amusais mais que j’en avais rien à foutre et que ça mènerait à rien parce que c’était qu’un jeu et que j’avais pas envie de quoi que ce soit de sérieux, sur différents modes, majeurs ou mineurs, et différentes clés, rigolarde ou dramatique entre autres, et elle qui disait t’es sérieux?, t’es sûr?, tu rigoles pas?, tu sais ce que tu dis?, t’en as conscience? et des trucs comme c’est définitif, tu le penses?, tu sais ce que tu fais là?, et qui, au fond, étaient rien moins que des ultimatums, mais j’en avais rien à foutre, je pensais, appuyé contre le chambranle de la porte, je rigolais de ses questions, et puis et j’ai fini par partir en criant « bisous » dans l’escalier sous ses reproches qui disaient sûrement que ma chance était passée et que je l’avais gâchée et que tant pis pour moi. Sauf que je l’écoutais pas.
Et là j’y repensais, allongé sur le tapis en la regardant par en dessous, et je me disais que quand bien même je la choperais jamais, ce qui ressemble à la définition d’un crève-cœur, je savais qu’au moins je serais jamais avec elle sérieusement. C’était une maigre consolation sur l’instant, mais quand j’y réfléchissais, je savais qu'en avoir conscience me sauverait et me permettrait d’éclater de rire quand elle m'arrêterait et me traiterait de fou quand j’essayerai de l’embrasser en titubant et en partant.
C'est le genre de titres que j'aurais pas pu lui faire écouter quand bien même je l'aurais voulu très fort. Psych-rock, noisy, au sens propre et au sens technique, bouffé par la reverb, le premier single du premier album du quintette de SF qui sort en janvier monte progressivement les blancs en neige pour devenir complètement hypnotisante et obsédante et onomatopéique la moitié du temps écoulée. Tame Impala, pour 2011.

3 commentaires:

Marion a dit…

Ha bah voila. C'est quand même mieux.

Anonyme a dit…

nan mais waw quoi

a dit…

Ca, j'ai aimé.