26 février 2011

Business school.


J’ai toujours considéré le mépris comme le sentiment humain le plus intéressant, le plus complexe. C’est celui dont les deux facettes s’effacent généralement devant celui qui est en la cible, celui qui conduit le plus à une réduction de l’auteur à une sentence lapidaire : de toute façon, c’est un con. Aussi, au contraire de cette plénitude béate qu’est l’amour, c’est celui qui questionne le plus, intellectuellement parlant, il est aussi instinctif qu’objectifiable, il peut faire l’objet d’une analyse.

Ce qui me fascine, c’est comment on peut dissimuler, museler, mettre de côté le mépris, simplement pour obtenir ce qu’on veut. Le plus souvent, une fille. Oh, elle est conne, elle se prend pour un écrivain, elle a pas de conversation, mec son auteur préféré c’est Frédéric Beigbder, elle aime Andy Warhol. Oui mais, elle est vraiment bonne, et j’ai vraiment envie de la choper, j’en avais envie avant de savoir qu’elle ne correspondait pas à ce que j’avais rêvé qu’elle soit.

On peut poser la question de ce que sont des goûts culturels méprisables, sur lesquels repose à première vue le mépris. C’est une opinion personnelle, voire une théorie, à laquelle je peux faillir, mais je ne serai pas un paradoxe près, mais les affects culturels méprisables sont ceux qui sont à première vue superficiels. Lire 99 francs est un acte culturellement neutre, en rester à Frédéric Beigbeder est un fait culturellement méprisable. L’important dans une culture personnelle, pour qu’elle ne soit pas exposée au mépris tient de ce qu’elle découle d’une progression intellectuelle, qu’elle suive la forme d’un entonnoir.

Oui, je ne jure, ou presque, que par quatre ou cinq auteurs, mais j’en ai 1) lu plusieurs œuvres, 2) lu d’autres. Okay, Beigbeder a eu un côté précurseur : premier roman post 11 septembre, si ma mémoire est bonne, avant le brillant La Belle Vie, roman séquelle qui a fait le plus de bruit avant Imperial Bedrooms (dont on peut bien penser ce qu’on veut, là n’est pas la question), mais en rester au « plagieur » dénote une pauvreté intellectuelle. Le mépris peut aussi reposer, de manière arbitraire, sur le simple fait que quelque chose ne me plaît pas, j’en conviens volontiers, je ne crois pas devoir me justifier de jeter un regard de dédain à un t-shirt Ed Hardy, à une doudoune Moncler, ou à un casque Beat by Dr. Dre.

Logiquement, on me demanderait comment je peux juger de la présence d’une démarche culturelle devant son simple résultat. Le fait est que ça n’a aucune importance, le mépris ne vient pas de là. Une des deux formes du mépris évoquée plus tôt est le mépris qui émane d’une nécessité de protection, de dissimulation, du besoin se faire plus fort que la meuf. Le mépris ne surgit pas d’un coup, par miracle après deux mois de conversation, le mépris surgit après un échec.

Oh, tout échec ne fait pas intervenir le mépris en réponse, certains se résignent, font le dos rond, d’autres les gros yeux, personnellement, je méprise. Le mépris provient d’une nécessité d’explication de l’échec, explication généralement refusée pour une raison x ou y. Le mépris émerge là où se trouve l’ego, qui a besoin d’explication pour ne pas se retrouver face à sa gueule devant la glace, pour ne pas affronter une introspection douloureuse. Oh, elle est conne, elle se prend pour un écrivain, elle a pas de conversation, mec son auteur préféré c’est Frédéric Beigbder, elle aime Andy Warhol. Le mépris résout tous les problèmes, c’est un locus externe internalisé (pas besoin de lui dire qu’on la méprise), ça n’a pas marché, parce qu’elle ne me mérite pas, et je vaux mieux qu’elle, et mon ego en sort intact. Sans mépris, tout est de ma faute, et je ferais mieux de boire à en crever parce que je ne saurais pas quoi faire, quoi changer, sans que ç’ait l’air d’une manœuvre ridicule. Sans mépris, je draguerai sûrement avec des Follow Fridays. Le mépris le plus couramment pratiqué n’est qu’une conséquence, que l’objectivisation, la justification d’un échec non prévu à posteriori, s’appuyant sur des éléments vaguement douteux et que l’on avait à peine remarqués avant d’en avoir besoin.

Jusqu’ici, les préliminaires n’ont rien d’exceptionnel, on dirait une branlette laborieuse par une manchot, avec des lieux communs assénés comme s’il s’agissait de révélations. Je crois que je fais du Houellebecq.

Là où ça devient intéressant, c’est quand on arrive à surmonter le mépris. Je situe ce moment dans le classique Je préfère qu’on reste amis, et sa variante moderne, soit faire comme s’il ne s’était rien passé. On va pas se leurrer, on va pas devenirs BFF, mais le mépris devient une toile de fond presque invisible, ou plutôt, un background sur lequel on ferme volontairement les yeux. Je ne sais pas ce qui se passe dans la tête d’une meuf (j’en connais), pour qu’elle croie que l’idée qu’on avait derrière la tête en t disparaisse en t+1, sur un échec, et qu’on devienne hyper copains. Mais le fait est que oui, à ce moment charnière, on peut choisir de détourner les yeux devant le mépris, mais c’est parce que personne ne se branle sur des déboires.

Pour jouer sur un parallèle bidon, je crois pas que quelqu’un qui a commencé à construire sa baraque et qui se rend compte à mi-chemin que le terrain est merdique s’arrête et abandonne tout ce pourquoi il a taffé. Une relation basée sur le mépris suit un peu le même chemin. J’ai dit tout à l’heure que le mépris apparaissait peu à peu, au détour d’un revers, oui, mais ça ne veut pas dire qu’il ne finit pas par être incontournable, la fondation d’une relation, le prisme par lequel on juge, ou regarde l’autre. Mais comme lorsque qu’on prend conscience du terrain merdique, quand le mépris apparaît, le réflexe consiste à l’ignorer, à ignorer la nature terrienne ou la notre. De toute façon, à quoi servirait-il de se mettre à gueuler maintenant ? Contre le promoteur, contre elle ? Ca ne changerait rien, ni elle, ni moi, ça ne me ferait aucun bien, puisque ça ne ferait que m’éloigner de mon but. Et puis au bout de deux semaines de mépris rentré, on sait bien détourner les yeux.

La logique voudrait que l’on arrête une relation qui ne nous satisfait pas, dont on ne peut obtenir ce que l’on veut. Logiquement oui, mais c’est sans compter 1) l’idée coriace que l’on peut changer les autres 2) l’ego et le mépris. Embourbé jusqu’au cou, même en étant conscient, il ne reste plus qu’à jouer au dur, à refuser l’inéluctable, à dire que l’on sait bien que tout va finir par se casser la gueule, mais continuer quand même. La seule chose inenvisageable serait d’arrêter là, de ne même pas pouvoir vérifier, si vraiment elle est si conne que ça, si vraiment ça ne pourrait pas marcher. On veut claquer la gueule aux sables mouvants et vivre là pendant 15 ans, aux mépris des éléments, pas partir la queue entre les jambes. On veut se prouver, et lui prouver, qu’elle avait tort au moment de provoquer l’échec, qu’on le valait bien. Ensuite de deux choses l’une, soit notre mépris était infondé, et c’est parfait, soit, nouvel échec, mais suite à une mise l’épreuve, disons, et le mépris était fondé, et dans les deux cas, l’ego en sort intact, ou grandi. L’échec premier est confirmé par le second, ce n’était pas de ma faute, mais de la sienne, le mépris n’était pas qu’une simple justification. Oui, il s’agit encore d’un aveuglement volontaire et du refus de l’autocritique, mais d’un refus qui sauvegarde. On ferme les yeux sur le mépris en attendant de pouvoir prouver que la douleur, quelconque ou non, qui l’a provoqué n’aurait pas eu lieu d’être. On détourne le regard du mépris pour se protéger, se renforcer à long terme, et il y a autant de noblesse que lâcheté là-dedans. L’échec final prouve que le mépris était juste.

Oh, on peut, en attendant la confirmation, enrober ça d’un peu de sentiments, dire qu’au final, on y tient, à cette meuf quand même, et ce n’est pas totalement faux, mais on tient surtout à la promesse qu’elle renferme, pour notre ego et notre reflet, que nous le valons toujours bien. C’est le mépris qui nous permet de continuer à la draguer, en priant pour qu’elle ne lise pas de livres, et qu’au final ça vaille le coup, que le Saint-Esprit vienne l’effleurer, et nous donne tort.

The Most Forgotten French Boy - Dogs

Le groupe de rock français le moins connu, pour ne pas dire le plus oublié, et sans conteste un des meilleurs. Too much class for the neighbourhood les enfants.

Parentheses - The Blow

J'ai une âme à poster des trucs vieux et j'adore les chanteuses et les chansons d'amour qui se passent au supermarché.


8 commentaires:

Am. a dit…

Eva

Aka a dit…

En même temps, le mépris peut être un puissant aphrodisiaque d'entrée de jeu. Être attiré par quelqu'un qu'on méprise en partie (pas totalement, il faut bien que la personne compense d'une façon ou d'une autre) peut créer une espèce de Mindfuck qui fait qu'on a envie de comprendre et tester jusqu'où va cette attirance non ?

J'aime beaucoup "business school" comme titre par ailleurs.

Am. a dit…

Au fait, quand j'y pense, ce truc de mépris, là, ça expliquerait bien des choses sur la jumelle maléfique ahhahah

Vadim P. a dit…

A moins que dans le cas de ce que t'appelles la jumelle, ce soit un mépris pur et simple.

Duel a dit…

Toutes les filles devraient te lire.
Ce soir, j'espère qu'il me méprise qu'il me trouve bonne et qu'il en crève d'attendre. Mais je crois surtout qu'il ne me méprise même pas et ça rend dingue.

Baguette a dit…

FOREVER ALONE.

Anonyme a dit…

http://www.youtube.com/watch?v=N7m86aMNjlQ

Vadim P. a dit…

Y'a un anon qui veut faire pleurer dans les chaumières là.